En même temps que La bonne a tout fait aux éditions Baleine, Le fémur de Rimbaud est paru aux éditions Gallimard. Deux romans coup sur coup de Bartelt, l’un dans la série du Poulpe et l’autre comme un retour aux sources, dans la maison d’édition “historique” du romancier, chez qui le dernier livre en date était Le testament américain.
Il y a d’ailleurs une certaine filiation, un certain rapport entre les trois histoires. Comme pour Le testament américain, il est question d’argent, d’héritage, et de ce que cela implique, modifie, dans les relations entre les personnages. Comme pour La bonne a tout fait, les patrons n’ont pas bonne presse et méritent de passer devant la justice des hommes, officielle ou non, car ils sont coupables de bien des crimes.
Tout commence par la rencontre entre Majésu Monroe et Noème Parker. Majésu, le narrateur, aurait pu exercer bien des métiers, tant son intelligence et son physique lui offraient de perspectives, selon ses dires. Au final, il est brocanteur. Une jeune femme s’intéresse un jour à une bague qu’il propose sur son étal, une bague ayant appartenu à la fille de Raspoutine… à l’une de ses deux filles. Cette bague a une histoire, ainsi que tous les objets que Majésu Monroe vend. C’est que, pour bien vendre, il faut une histoire, avec certificats à l’appui. Et des histoires, le brocanteur en a à revendre.
“Il y a des objets qui demandent des années de maturation, de calculs, de soins ardents. Plus ils sont dénués d’intérêt, plus il convient de les charger d’histoire. L’objet d’exception est une création de l’esprit et l’aboutissement de la volonté.”
La jeune femme qui s’intéresse ce jour-là à la bague ne lui est pas indifférente, il va jusqu’à lui faire crédit, et l’invite à écluser quelques boques dans le bar d’à côté. Noème, c’est son prénom, est en butte avec les nantis, les puissants. Communiste déçue, elle voudrait étriper les patrons, les éviscérer, au sens propre. Avec Majésu, elle trouve à qui parler, il est le véritable auteur de l’assassinat de Maximilien Dourdine. Voilà un couple parfaitement assorti qui se forme. Si assortis qu’il ne leur faut pas longtemps pour se décider à convoler. Et comme un pied de nez, ce sera en haillons qu’ils se diront oui. Pied de nez aux patrons, aux exploiteurs, en général, et aux parents de Noème en particulier, car ceux-ci sont de la caste des riches, de ces riches qu’elle exècre au point de forcer Majésu à promettre qu’il leur fera la peau comme ils le méritent, comme il l’a fait pour Dourdine… Mais ça n’est pas si simple.
Un événement, qui aurait pu s’avérer heureux, change tout. Les relations, les convictions et l’aventure s’emballent, d’arrestation en prise d’otage, de fuite en poursuite, de garde à vue en règlement de compte… La police, les pauvres, les objets, l’argent, tout s’emmêle. Et les merveilleuses histoires inventées, les mensonges, finissent par poser problème, par se retourner contre leurs auteurs. A la manière de ces vers de Rimbaud, qualifié dans le roman de “poète de saison”, réarrangés et cités en exergue :
“Menti sur mon fémur !
… j’ai deux fémurs bistournés et gravés !
J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur !
C’est cela que depuis quarante ans je bistourne
Sur le bord de ma chaise aimée…”
A la manière de ces vers qui donnent leur titre au livre, il est question du mensonge, de la fiction et de ses conséquences imaginées, imaginaires, outrancières…
“Pour un brocanteur, le mensonge n’est jamais qu’un dispositif de légitime défense. S’il était tenu à servir la vérité, il ne gagnerait jamais un centime. Le bénéfice n’est jamais que le fruit d’un trafic. Il faut bien vivre.”
De là à faire un rapprochement entre le brocanteur et l’écrivain…
A sa manière si personnelle, Bartelt nous entraîne dans une histoire rocambolesque, où l’amour peut mener à bien des choses. Où le travail sur la langue est toujours aussi savoureux. Un travail autour du langage et de sa force.
“Le langage n’est qu’un petit coup de pouce qui confère de l’élan et de l’allure à une réalité qui n’a rien pour elle.”
Après deux romans publiés simultanément, on espère qu’il ne nous faudra pas attendre longtemps avant de lire la prose du romancier, qui nous a également offert quelques poésies cette année dans le recueil Presque rien au monde publié par Arch’libris et illustré par Jean Morette.